Dans ce blog, nous parlons avec Erwin Dreyer, Rédacteur en Chef de la revue Annals of Forest Science, de l'évolution du monde de l'édition scientifique dans le domaine de la foresterie, notamment de la transition vers la science ouverte et l'importance du partage des données et de la préservation de l'intégrité scientifique par le biais d'un examen rigoureux par les pairs.
J'ai été recruté en 1980 par l'Institut national de la recherche agronomique (INRA1) pour travailler sur des questions d'écophysiologie des arbres, notamment pour identifier les effets du manque d'eau dans le sol en utilisant des techniques qui n'étaient pas encore aussi perfectionnées qu’aujourd’hui (mesure de photosynthèse, de transpiration, de croissance…) et qui demandaient une importante phase de bricolage. L'écophysiologie des arbres est une discipline qui a produit des résultats importants en utilisant des approches quantitatives mesurant des flux d'eau (liquide ou vapeur), de carbone (CO2) dans le continuum sol-plante-atmosphère. Ces mesures peuvent se faire à l’échelle de la feuille isolée, de la plante entière voire des couverts forestiers avec des méthodes diverses et de plus en plus perfectionnées. Cette approche permet d’évaluer le stockage ou le déstockage de carbone dans les écosystèmes avec les conséquences que nous connaissons maintenant en termes d’émissions de gaz à effet de serre et de changement climatique.
Dans mes recherches personnelles, je suis toujours resté à l'échelle de la feuille et de l'arbre individuel, mais mes collègues du laboratoire de Nancy-Champenoux travaillaient à des échelles plus vastes (forêt), et c’est ces changements d’échelles fréquents de la feuille à la forêt qui ont permis de mieux comprendre la contribution des forêts (et de la végétation en général) aux cycles globaux du carbone, de l’eau, de l’azote et de bien d’autres éléments.
J’ai commencé à travailler sur la réponse des arbres à la sécheresse historique de 19762 qui a induit des dépérissements et de la mortalité d’essences forestières comme les chênes ou d’autres essences. Nous voulions comprendre le lien qu'il pouvait y avoir entre un événement qui, à l'époque, était considéré comme un accident climatique ponctuel et la santé des arbres et des peuplements. Au début des années 1980, le « Waldsterben » ou dépérissement forestier, imputé majoritairement à la pollution atmosphérique, a montré qu'il fallait analyser la réponse des forêts en utilisant des outils et méthodes d’écologie et de modélisation de la réponse des arbres en plus des méthodes classiques des sciences forestières. En cherchant à expliquer les dynamiques de dépérissement des arbres, on a constaté qu'il se passait quelque chose qui allait largement au-delà de la réponse à un événement ponctuel. Cela se manifestait davantage par une réponse systémique que par des réponses ponctuelles à des accidents climatiques isolés. De manière surprenante, les premiers effets de changements globaux se sont manifestés par une augmentation de la croissance et de la productivité des arbres. Depuis, on a bien identifié des facteurs de dépérissement liés aux fortes températures et aux sécheresses estivales à répétition, qui limitent les effets positifs que l’augmentation de CO2 dans l’atmosphère peut avoir.
Aujourd’hui, nous disposons de nombreuses informations pour à la fois comprendre comment les forêts peuvent contribuer à l'atténuation du changement climatique d’une part et d’autre part quel est l'impact du changement climatique sur les forêts. Nous ne savons pas encore très bien quelles seraient les mesures permettant une adaptation des forêts à des évolutions climatiques de grande ampleur telles que prédites par les modèles du GIEC3. Ces connaissances proviennent d’un effort coordonné de la communauté scientifique travaillant sur ces processus d'écologie fonctionnelle ou d'écophysiologie, qui permet de mieux comprendre, en lien avec des climatologues, ce qui se passe à différentes échelles qui vont de celle d’un individu (arbre en l’occurrence) à celle de la biosphère et de la planète.
Le passage du modèle hybride (abonnement plus Open Access Optionnel) à l’accès ouvert intégral a eu lieu le 1 Janvier 2022 et il est encore trop tôt pour faire un bilan consolidé de ses conséquences. La baisse de soumissions d’articles que nous avons constatée est un premier indicateur ; nous espérons que cette baisse sera transitoire.
Mais l'Open Access n’est qu’un aspect des évolutions en cours dans le monde de l’édition scientifique dans le domaine des forêts. Si l’on examine l'évolution du nombre d’articles publiés dans le domaine forestier en 20 ans, on constate qu’il a plus que doublé, principalement en raison de l’augmentation du nombre de chercheurs qui publient, en particulier dans des pays comme la Chine, l'Inde, l'Amérique Latine. Cette évolution a entraîné une augmentation du nombre de revues en libre accès à la lecture, qui offrent moyennant paiement de charges pour publication une série de services aux auteurs, et qui essaient de capter le « marché » des articles disponibles. Cette évolution s’appuie également sur de nouveaux outils d'intelligence artificielle, sur de la communication très active vers des auteurs ou des groupes d’auteurs considérés comme des « clients ». Certaines maisons d’édition sont nettement plus efficaces que d’autres dans la mobilisation des outils numériques et de communication, et utilisent efficacement des modes de communication adaptés des réseaux sociaux. De fait, les journaux plus établis, comme Annals of Forest Science, et les éditeurs qui les portent, doivent évoluer dans leur rapport aux auteurs pour rester attractifs. Ils doivent surtout apporter une garantie de qualité scientifique sur ce qui est publié, en particulier à travers le maintien d’une procédure de relecture des manuscrits par les pairs qui soit efficace, de qualité et si possible ouverte.
Nos journaux doivent aussi soutenir le mouvement des preprints, qui permet la mise en ligne de manuscrits avant publication par un journal, et accepter que ces manuscrits soient évalués par des communautés de pairs : ces évaluations publiques et référencées peuvent être reprises et complétées dans un second temps par des journaux pour publication d’une version définitive de l’article. Dans notre domaine, s’est ainsi construite une « Peer Community in Forest & Wood Sciences4 » qui a démarré ses activités en 2021.
Annals of Forest Science a commencé à inciter les auteurs à mettre les données à disposition dans des dépôts institutionnels il y a presque 10 ans déjà. Dans le même temps, Springer Nature a défini quatre types de politiques de données et a demandé aux revues de s’y référer. Cela a été d’une aide importante parce que, en tant que revue, nous n’avons pas le pouvoir d’obliger le chercheur à déposer ses données ; nous ne pouvons que l'inciter à le faire. Aujourd’hui, il n'y a pas d'évaluation solide par la communauté des pairs si les données ou les codes d’analyse de ces données ne sont pas disponibles. Nous avons également créé un nouveau type d’articles traitant uniquement des données ; ce sont les data papers. L'an dernier, la revue a publié plusieurs data papers s’appuyant sur de grosses bases de données mises à disposition des communautés de chercheurs pour faire des analyses complémentaires et les réutiliser par exemple dans le cadre de méta-analyses. Nous travaillons beaucoup pour que les auteurs assurent le dépôt des données associées à un article dans un entrepôt de données. La France a développé une politique de dépôt de données très claire et explicite autour de la plateforme partagée recherche.data.gouv.fr. Dans ce cadre, le dépôt de données dans un dépôt institutionnel bien structuré et documenté sera bientôt une obligation. De tels jeux de données sont considérés comme des productions scientifiques importantes et peuvent être cités, et contribuent aux avancées de la science au même titre qu’un article scientifique publié dans une revue.
L'augmentation extraordinaire du nombre de papiers publiés exige de défendre l’évaluation par les pairs pour maintenir la qualité de ce qui est publié. Il faut insister sur le fait que la vraie valeur ajoutée de la publication dans un journal de recherche réside dans le travail éditorial sur le contenu scientifique et la validation par les pairs du contenu des articles publiés.
Les défis auxquels est confrontée la communauté des chercheurs sur les forêts dans un monde en mutation rapide (en particulier du fait des changements climatiques et globaux) sont nombreux, et je ne pourrai pas les citer tous ici.
Ce que nous partageons avec toute la communauté scientifique c’est le défi de l’adoption de pratiques de science ouverte pour la diffusion des résultats dans un contexte d’évolution très rapide des modèles d'édition. Ces évolutions sont liées en partie au numérique, en partie au fait que tout se diffuse très vite avec l'émergence des preprints et de nouveaux outils de communication. Dans ce contexte, les questions d'intégrité scientifique deviennent encore plus prégnantes. Dans ma pratique quotidienne d’éditeur scientifique, je suis régulièrement confronté à des manquements à l’intégrité scientifique sous des formes diverses. Il s’agit le plus souvent de manquements mineurs dont l’accumulation peut toutefois avoir des conséquences significatives. Nos journaux doivent absolument les traiter et des maisons d’éditions comme Springer Nature peuvent nous aider en communiquant largement sur les exigences en matière d’intégrité scientifique de la publication dans un journal. COPE5 (Committee on publication ethics) fait des choses très bien et Springer Nature et INRAE en sont membres.
Je suis heureux de pouvoir dire que dans le contrat qu’INRAE a passé avec Springer Nature pour publier 6 revues de recherche, il est précisé que les décisions de publier ou non des manuscrits soumis appartiennent aux comités éditoriaux des revues (constitués de scientifiques internationaux). Il n’y a aucune contrainte quantitative. Nos journaux sont capables de publier de nombreux articles, mais ne le font que si les articles répondent à des critères de qualité et d’intégrité scientifique stricts. Cette exigence sur laquelle nous ne voulons pas transiger est partagée par l’INRAE et Springer Nature.
La qualité, c'est très subjectif. Dans les revues très prestigieuses, par exemple, la qualité se mesure à l'originalité et la nouveauté des résultats publiés. Pour nous, la qualité réside dans le respect de l'intégrité scientifique, des règles scientifiques, dans la validité de ce qui est affirmé. C’est d’autant plus important dans un contexte de crise de la reproductibilité des résultats scientifiques publiés. Il faut par ailleurs renforcer la confiance en ce qui est publié. Springer Nature apporte d'une part les outils pour faciliter le contrôle qualité par la communauté de scientifiques, sans en être directement responsable ; cette responsabilité incombe à la communauté des scientifiques (rédacteurs en chef et rédacteurs associés, reviewers, auteurs et utilisateurs) mobilisée autour du journal qui doit s'engager activement pour la défense de cette intégrité. Mais les outils proposés par Springer Nature sont importants et utiles pour mettre en œuvre cette exigence. Une communication plus forte sur ce sujet devrait sans doute être menée conjointement par les revues et Springer Nature.
Notes de bas de page
A propos d'Erwin Dreyer
Erwin Dreyer, chercheur émérite à l'INRAE, est un physiologiste de l'écologie des arbres et de la forêt. Depuis 2007, il est rédacteur en chef de la revue Annals of Forest Science. Il s'investit actuellement dans le développement des pratiques de science ouverte, notamment la publication scientifique au sein de l'INRAE et de ses institutions partenaires.