publié le 6 mars 2023 sur le site de Nature.com
Sylvie Retailleau, physicienne devenue Ministre, s’exprime dans la revue Nature sur ses ambitions pour la recherche scientifique en France.
Sylvie Retailleau, connaissait bien la communauté scientifique lorsqu'elle a pris ses fonctions de Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche en mai dernier. Avant de commencer sa carrière politique, elle a perfectionné ses talents de négociatrice en réunissant différents acteurs à l'université Paris-Saclay et en participant à l'élaboration de la première Loi de programmation de la recherche (LPR) en France.
Nature a publié la première interview EN LANGUE ANGLAISE de la Ministre1 depuis sa prise de fonction, dans laquelle elle livre ses ambitions pour la science en France.
Quelles sont vos priorités pour les prochaines années ?
Mon objectif consiste à faire bouger les lignes, pas à révolutionner. Je tiens à trouver un équilibre entre les trois piliers de mon portefeuille que sont la recherche, la formation et l'innovation. La communauté scientifique est fatiguée des restructurations et de l'approche descendante observée ces 15 dernières années. Ce que souhaite la communauté scientifique, c’est de la stabilité ainsi qu’une vision claire d’où nous allons, pourquoi et comment y parvenir. L'une de mes premières missions a été de mettre en place une collaboration plus étroite avec mes collègues de l'éducation, de la santé, de l'agriculture et de l'industrie.
La toute première LPR prévoyait que l'État investisse 26 milliards d'euros supplémentaires dans la recherche d'ici à 2030. Cette augmentation des dépenses est-elle bien engagée ?
Nous sommes en train de préparer une série de programmes qui fourniront de nouveaux moyens à la recherche, comme un plan de 7 milliards d'euros pour l'innovation dans le domaine de la santé, dont 1,3 milliard d'euros seront consacrés à la recherche. Un plan de “recherche à haut risque” sera bientôt annoncé. Nous continuerons à augmenter les salaires afin d'attirer les jeunes vers les carrières scientifiques. Le salaire de base et les primes ont fortement augmenté depuis l'entrée en vigueur de la LPR pour toutes les différentes catégories de personnel scientifique. Les scientifiques ne se rendent pas toujours compte de cette évolution.
Quels sont les développements à venir dans le monde de la recherche ?
L'enjeu est de clarifier les relations entre les grandes universités de recherche, les petites universités régionales et les instituts nationaux de recherche comme le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS). Les universités seront plus autonomes, mais pas complètement indépendantes, et les agences ou les instituts seront amenés à jouer un rôle à l’échelle nationale, décidant de l’orientation stratégique et de la coordination des programmes thématiques. Les unités mixtes de recherche (UMR) vont subsister, mais chaque laboratoire sera dirigé par un seul responsable au lieu de plusieurs. Les programmes de recherche seront probablement centralisés, par exemple par le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) pour le secteur de l'énergie et par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) pour ce qui est de la recherche biomédicale, à l'instar des National Institutes of Health américains. Philippe Gillet, ancien président de l'Agence nationale de la recherche (ANR), présentera au printemps des propositions sur la manière d’y parvenir.
Comment comptez-vous surmonter les obstacles bureaucratiques auxquels vos prédécesseurs se sont heurtés ?
Le nouvel environnement devrait simplifier la vie des scientifiques. Je souhaite que les chercheuses et chercheurs puissent consacrer davantage de temps à la recherche. Cela implique de simplifier la gestion des laboratoires qui dépendent de plusieurs organisations et, comme je l'ai déjà évoqué, d'avoir un seul responsable. Les outils de gestion doivent être les mêmes pour tous et partagés par les conseils d'administration des laboratoires afin d'éviter toute redondance dans les tâches administratives. Cela simplifierait également la mise en place et le suivi des programmes de recherche.
Comment comptez-vous répartir le financement entre les projets de recherche et la recherche fondamentale ?
La recherche fondamentale est essentielle, car c'est elle qui va façonner notre avenir. Elle est financée à la fois par les subventions de l'État aux organismes de recherche et par l'ANR. La plus grande partie des fonds de l'ANR est consacrée à des projets génériques, dont la plupart concernent la recherche fondamentale. Au cours des deux dernières années, le taux de succès à ces appels à projets a connu une augmentation considérable.
Avez-vous des projets pour améliorer la culture scientifique du grand public ?
Il existe déjà plusieurs initiatives, comme la Fête de la Science. Un nouveau projet sera lancé prochainement en collaboration avec le Ministère de l'Éducation et le Ministère de l'Égalité femmes-hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chances afin d'encourager les jeunes à s'intéresser à la science. Ce projet sera introduit progressivement entre septembre 2023 et l'été 2024. Une des difficultés réside dans le fait que de nombreux enseignants ne sont pas formés à la science, mais cela changera lorsque l’enseignement scientifique deviendra obligatoire dans le cursus de licence pour devenir professeur des écoles à partir de l'année scolaire 2024/2025.
On entend souvent dire que les Ministres issus de la société civile ont du mal à se faire entendre par leurs collègues. Quelle est votre expérience ?
Mes collègues du cabinet m'écoutent et m’interrogent régulièrement. Ce fut une agréable surprise. Si seulement les médias pouvaient s’intéresser autant à la recherche que le fait le cabinet ! Le président Emmanuel Macron est conscient que la science constitue un continuum et nous avons des réunions régulières sur tout ce qui touche à la technologie et à l'innovation.
doi: https://doi.org/10.1038/d41586-023-00628-7
1Texte publié initialement en anglais : https://www.nature.com/articles/d41586-023-00628-7