Dans cette interview, nous évoquons la publication récente du livre « 2000 Years of Pandemics » avec les auteures qui ont coordonné l’ouvrage : Claudia Ferreira et Marie-Françoise Doursout. Nous découvrons comment la pandémie de COVID-19 a transformé la manière dont la société perçoit les résultats scientifiques et son impact sur la recherche universitaire ainsi que sur la diffusion de l'information. Enfin, nous évoquons des défis posés par l’abondance d'informations, souvent contradictoires, et du rôle des éditeurs face à cette problématique.
CF : L'objectif central de l'ouvrage est d'étudier les facteurs liés au développement des pandémies en utilisant des données passées pour les extrapoler aux pandémies actuelles. Il vise à sensibiliser le public aux problèmes de santé publique posés par les pandémies en adoptant l'approche « One Health » de l'OMS, qui considère les risques sanitaires à l'interface entre l'animal, l'homme et l'environnement. Le message principal est que l'examen du passé peut nous aider à prévenir et à mieux nous préparer à affronter de nouvelles pandémies.
MFD : En étudiant les pandémies des 2000 dernières années, nous avons constaté qu'un schéma s'était établi. Plus précisément, nous avons remarqué que ce schéma devenait de plus en plus court, se produisant tous les dix ans. Aussi difficile à imaginer que cela puisse paraître, la prochaine pandémie de type COVID pourrait survenir d'un jour à l'autre. Et avant que cela ne se produise, il est essentiel que le monde mette en place des programmes nationaux pour fournir rapidement de nouveaux vaccins efficaces afin d'éviter des niveaux effrayants de mortalité, de destruction économique, de troubles sociaux et d'insécurité. La pandémie de COVID-19 nous a enseigné des leçons douloureuses et nous devons aux personnes qui ont perdu la vie, ainsi qu'à leurs familles, de créer une nouvelle réalité pour que cela ne se répète plus jamais.
CF : Ma passion pour l'étude des pandémies est née lorsque j'étais jeune médecin, lors de la pandémie de VIH-SIDA au début des années 90, et de la frustration de voir mes patients agoniser sans aucune option de traitement que les soins palliatifs.
J'ai toujours été émerveillée par « l'intelligence collective » des agents pathogènes, des virus, des bactéries et des fongus pour survivre et s'adapter à un nouvel hôte, ainsi que par leur capacité à muter afin d'attaquer plus efficacement le système immunitaire et résister aux outils thérapeutiques.
MFD : La lecture et le décryptage du mécanisme des pandémies sur 2000 ans nous ont ouvert les yeux. L'histoire s'est répétée ! En savoir plus sur les pandémies est un défi et une source d'inquiétude en raison de leur caractère imprédictible.
CF: Depuis le début de la pandémie, près de 43 000 articles scientifiques ont été publiés et, selon Clinical Trials. Gov, plus de 9 000 essais cliniques sont en cours.
Du jour au lendemain, tout le monde est devenu expert en maladies infectieuses, principalement en raison de la désinformation et de la mésinformation. Les médias et réseaux sociaux se sont emparés du sujet, certains en créant un climat de doute dans la population à l'égard de la communauté scientifique.
MFD: Effectivement, tout le monde a donné son avis, alors que les experts eux-mêmes ne savaient pas. Par la suite, quelques essais cliniques ont été publiés, principalement en Chine, mais du fait du faible nombre de patients, de l’information contrôlée par les pouvoirs politiques, il était difficile d'en tirer des conclusions au niveau mondial.
CF : Mon entreprise vise à éduquer et à collaborer avec les gouvernements internationaux et les organisations privées à des programmes de préparation et de réponse et à des activités éducatives scientifiques pour les acteurs de la santé.
D'après mon expérience, les idées fausses les plus répandues sont les théories du complot et la dénonciation. Par exemple, lors de la pandémie de Covid-19, on a commencé par l'appeler le virus Chinois, puis lorsque le virus a muté, il y a eu la variante Sud-Africaine, puis la variante Péruvienne et ainsi de suite. La stigmatisation des populations n'est pas une tendance nouvelle dans l'étude des pandémies, comme ce fut le cas avec le virus VIH, caractérisé comme le virus des quatre H : Homosexuels, Hémophiles, Héroïnomanes, Haïtiens. Un autre exemple est la pandémie de syphilis que les Allemands appelaient la maladie Polonaise, les Français la nommaient la maladie de Naples, et les Italiens la maladie Française.
CF : L'éducation est l'un des meilleurs moyens d'atténuer la pression exercée par la surabondance d'informations. Dans ce contexte, la communication publique joue un rôle important en tant qu'interaction entre les institutions et les citoyens.
Les stratégies de communication en matière de santé publique devraient se fonder sur les informations scientifiques validées et publiées par les éditeurs scientifiques.
CF : Les pandémies ont un impact sur la santé mentale. Un rapport de l'OMS indique que 25 % de la population mondiale présentent des symptômes d'anxiété et de dépression, ce qui n'est pas surprenant si l'on considère que lors de la pandémie de Covid-19, et pour la première fois dans l'histoire, le monde entier a été mis en quarantaine. La pandémie a révélé un sous-investissement historique dans les services de santé mentale dans les cas de pandémies qui n'avait pas encore été observés auparavant. Notre livre, 2000 Years of Pandemics Past Present and Future (2000 ans de pandémies passées, présentes et futures) aborde cette problématique au cours des 2000 dernières années.
MFD : En effet, il existe un lien majeur entre les pandémies et la santé mentale, comme on l'a vu lors de la pandémie de COVID-19. Même dans des circonstances normales, une bonne santé mentale est essentielle au fonctionnement de la société. Des années de sous-investissement dans la santé mentale, en particulier dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, nous ont rendus vulnérables. Il est bien connu que notre capacité à répondre à la pandémie de COVID-19 et à s'en remettre nécessitera la mise au point de vaccins et de traitements efficaces, ainsi que le respect strict des Mesures Non-Pharmaceutiques (MNP). Par exemple, les personnes atteintes de démence pourraient présenter un risque élevé de contracter le virus COVID-19 parce que leur mémoire ne leur permet pas de se souvenir des instructions et de l'importance de l'éloignement physique et de l'hygiène des mains. Le confinement de personnes avec ou sans maladie mentale dans des institutions peut augmenter leur risque d'infection, comme on l'a vu dans les établissements de soins de longue durée et les prisons.
Deux ans après la COVID-19, des personnes souffrent encore de « long-COVID », avec des sensations de brouillard. Il y a donc beaucoup à faire pour améliorer la santé mentale associée aux pandémies.
A propos de Claudia Ferreira
Claudia Ferreira, MD, PhD, a obtenu son diplôme en médecine à l'Université de Cordoba en Argentine, suivi d'une bourse du Harvard AIDS Institute et de l'Université du Texas Health Science Center à Houston aux États-Unis. Elle a consacré les 25 dernières années de sa carrière aux domaines des maladies infectieuses, des maladies tropicales et de la gastro-entérologie. Elle a également travaillé en tant qu'enquêtrice pour l'Agence nationale de recherche sur le SIDA, une branche du Centre national pour la recherche scientifique, et pour plusieurs laboratoires pharmaceutiques en France. Elle a récemment lancé sa propre entreprise pour aider les agences internationales et les organisations privées à gérer les maladies infectieuses émergentes, la préparation aux pandémies et la planification de la réponse.
A propos de Marie-Françoise Doursout
Marie-Françoise Doursout, est professeure au Département d'anesthésiologie de l'École de médecine de l'Université du Texas à Houston. Ses recherches se concentrent sur la physiologie animale, en mettant particulièrement l'accent sur la physiopathologie de la septicémie et du choc septique. Elle a publié des articles scientifiques évalués par des pairs, des articles de revue et des chapitres de livre dans des revues de haut impact. De plus, Marie-Françoise Doursout est active dans l'orientation et la formation des étudiants en médecine et des jeunes chercheurs du Département d'anesthésiologie de l'École de médecine de l'Université du Texas à Houston.